Face à l’occupant, l’engagement des femmes dans la Résistance

Afin d’accompagner les élèves et leurs professeurs et d’orienter leur réflexion sur le thème du Concours national de la résistance et de la déportation (CNRD) 2017-2018, « S’engager pour libérer le territoire », le Mémorial de la Shoah a conçu une exposition itinérante destinée à voyager dans les établissements qui en feront la demande tout au long de l’année. Nous vous présentons ici un résumé thématique de cette exposition.

   Mode d’emploi

 

 

L’engagement dans la Résistance a été le choix d’hommes et de femmes dès l’été 1940. Mais ces dernières ont longtemps été reléguées dans l’ombre, et leur rôle méconnu ou minoré.

Chargées de tâches essentielles comme le renseignement, la liaison ou encore le transport d’armes et d’explosifs, elles ont été des rouages majeurs de la Résistance. Mais ces missions, moins visibles, ont été occultées par la dimension combattante de la Résistance, laquelle était quasi-exclusivement assurée par des hommes.

En outre, en ce qui concerne la population juive, exclue, puis traquée par les Allemands et leurs collaborateurs, comme Vichy en France, a longtemps dominé l’image d’une population passive. Les femmes juives se trouvent ainsi perçue sous un double biais, et le choix d’aborder leur(s) rôle(s) en particulier est d’autant plus important.

 « Sans elles, la moitié de notre travail eût été impossible. »
Colonel Henri Rol Tanguy.

Vichy face aux femmes

En France, le régime de Vichy accède au pouvoir à la faveur de la défaite et entreprend avec son projet de « Révolution nationale » l’édification d’un pays conforme à ses principes. Mesures contre les opposants de tous bords, mise en place d’une politique antisémite, contrôle des médias sont parmi les objectifs poursuivis. Mais les femmes constituent aussi une cible du régime, qui entend revenir sur les acquis obtenus. L’émancipation est remise en cause car, pour Vichy, la place naturelle des femmes est au foyer, au service de la famille, laquelle doit être nombreuse.

Dès octobre 1940, une loi interdit désormais les recrutements au sein de la fonction publique aux femmes (11 octobre). Le régime veut décourager le travail féminin et, simultanément, des mesures favorisant la natalité sont prises, afin d’inciter les femmes à faire davantage d’enfants. L’instrumentalisation de la fête des mères, qui est élevée au rang de fête officielle et prend une importance considérable, constitue à cet égard la mesure la plus emblématique. La femme, si elle reste à la place que le régime lui confère et s’occupe de la famille et de son foyer, doit être choyée.

 « En vue de lutter contre le chômage [ … ] est provisoirement interdit à compter de la publication du présent acte, l’embauche ou le recrutement de femmes mariées dans les emplois des administrations ou services de l’Etat, des départements, communes, établissements publics, colonies, pays de protectorat ou territoires sous mandat, réseaux de chemins de fer d’intérêt général ou local ou autres services concédés, compagnies de navigation maritime ou aérienne subventionnées, régies municipales ou départementales directes ou intéressées. »

Loi relative au travail féminin, 11 octobre 1940.

S’engager dans la lutte

Dès l’été 1940, la Résistance française s’organise, à l’intérieur comme à l’extérieur du territoire.

À Londres, autour du général De Gaulle, se rassemblent quelques milliers de volontaires, venus tant de métropole que des autres départements et colonies françaises. Parmi ceux qui constituent le noyau des Forces françaises libres (FFL) se trouvent des femmes et en novembre 1940 est créé le corps des volontaires françaises libres. Il compte rapidement plusieurs centaines de membres.

En France métropolitaine, dans les semaines qui suivent la défaite et l’Occupation, les premiers mouvements et réseaux de la Résistance intérieure sont créés. Parmi les pionniers qui s’engagent dès les premières heures dans le combat contre l’occupant et Vichy se trouvent des femmes qui tiennent un rôle central. À Paris, le groupe du Musée de l’Homme qui se constitue dès l’été compte nombre de femmes dans ses rangs, comme Germaine Tillion et sa mère Emilie ou encore Geneviève De Gaulle.

Lucie Aubrac, à l’autonome 1940, participe à la naissance du mouvement Libération-Sud, qui devient l’un des plus importants groupe de résistance. En novembre, Marie-Madeleine Fourcade fonde avec le commandant Loustaunau-Lacau le réseau de renseignement militaire Alliance, dont elle prend la tête après l’arrestation de ce dernier au printemps 1941. En juillet 1941, c’est Hélène Mordkovitch qui crée avec Philippe Viannay, qui devient son mari, le journal clandestin Défense de la France, qui est à l’origine de l’un des principaux mouvements de la zone occupée.

 « Je suis Française et j’ai bien fait de servir mon pays. Je regrette seulement de n’avoir pas pu en faire davantage. »

Renée Lévy

La résistance juive

S’opposer au nazisme triomphant, c’était aussi se battre dans les armées alliées : environ un million et demi de Juifs l’ont fait. C’était se joindre dans les pays occupés aux groupements de la Résistance : initialement surreprésentés quand la victoire allemande semblait acquise, les résistants d’origine juive ont assumé de hautes responsabilités lorsque la Résistance s’est étoffée.

Mais à côté des résistants d’origine juive mêlés aux autres résistants, il existait une Résistance juive spécifique tant par sa composition que par ses objectifs. Elle plaçait le sauvetage des vies humaines au cœur de ses priorités. Malgré les conditions dans lesquelles se trouvait la population juive, la Résistance juive a mené des révoltes armées dans des centres de mise à mort et des ghettos, regroupé des milliers de partisans ou maquisards juifs sur le front de l’Est, en France, en Belgique. Elle a aussi déployé une résistance dite « spirituelle », pour affirmer une identité menacée par la destruction : culture, religion, éducation, valeurs furent des terrains de lutte, en direction des adultes comme des enfants.

«Je trahirai demain pas aujourd’hui.
Aujourd’hui, arrachez-moi les ongles, Je ne trahirai pas.
Vous ne savez pas le bout de mon courage. Moi je sais. »

Marianne Cohn, 1943.

Lutter pour survivre

A travers l’Europe, la Résistance se met en place et s’organise de manière sensiblement identique, même si dans chaque territoire les réalités et les contraintes diffèrent. Il existe cependant un monde à part, celui des ghettos où sont enfermées par les nazis les populations juives, à partir de 1940 en Pologne puis ensuite dans les territoires soviétiques.

A Varsovie, Vilnius, Bialystok ou encore Kaunas, des groupes se mettent en place afin de faire face. Isolés du reste des populations, relégués dans des espaces soumis à un contrôle total des Allemands et très largement démunis, ces hommes et femmes juifs tentent de résister par différents moyens. Rompre l’isolement imposé, mettre en place des voies clandestines de ravitaillement, organiser une vie intellectuelle malgré les interdictions ou encore documenter et informer sont autant de manières de résister. Mais à partir de l’été 1942 et du déclenchement de la « solution finale », les Juifs livrent un combat perdu d’avance contre un Reich qui domine l’Europe et les a voué à la destruction.

« Ces jeunes filles héroïques mériteraient la plume d’un grand écrivain, ces héroïnes qui sillonnent le pays entre les villes et les petites localités. Leurs faux papiers d’identité portent le nom d’une Polonaise ou d’une Ukrainienne. Chaque jour elles affrontent les plus grands dangers, se fiant à leur aspect « aryen ». Elles entreprennent les missions les plus risquées sans même un instant d’hésitation. S’il faut se rendre à Wilno, à Bialystock, à Lwow, à Kovel, à Lublin, à Czestochowa, à Radom et apporter là en contrebande de la littérature clandestine, de l’argent, des armes, elles le font tout naturellement. Aucune difficulté, aucun obstacle n’existe pour elles … Combien de fois ont-elles vu la mort en face ? Combien de fois ont-elles été contrôlées et arrêtées ? La femme juive a inscrit une belle page dans l’histoire des Juifs pendant cette guerre mondiale. »

Emanuel Ringelblum, Chroniques du ghetto de Varsovie.

Dans l’engrenage de la répression

Les politiques répressives mises en place contre la Résistance par l’occupant, en France comme ailleurs, connaissent entre 1940 et 1944 des évolutions qui sont autant de durcissements successifs. Aux exécutions d’otages qui marquent les premiers mois de l’Occupation, succèdent d’autres mesures. Les Allemands installent des tribunaux dont les condamnations prononcées vont de la peine de prison jusqu’à la déportation et la peine de mort.

Dans le même temps le régime de Vichy lui aussi traque, juge et emprisonne et les opposants, tandis que la police française prête régulièrement main-forte à la police allemande, participant au démantèlement de nombreux réseaux et organisations.

Dans cette lutte implacable, où les forces de police allemandes et françaises utilisent tous les moyens possibles, les femmes ne sont pas épargnées. Dans les prisons de Vichy, environ 20% des femmes incarcérées sont des résistantes. Quant aux victimes des Allemands, elles se comptent par milliers : emprisonnées en France, déportées vers l’Allemagne ou encore exécutées. Parmi les femmes déportées se trouvent des dizaines qui ont été condamnées à mort par les tribunaux allemands en France. Mais l’occupant juge préférable, contrairement au sort réservé aux hommes, de réaliser ces exécutions loin du territoire français. Les femmes sont donc envoyées dans les prisons du Reich comme Renée Lévy, guillotinée le 31 août 1943 à Prüm  ou encore Olga Bancic, membre du groupe Manouchian, qui connaît le même sort le 10 mai 1944 à Stuttgart.

 

« La vie ne vaut pas cher, mourir n’est pas grave. Le tout c’est de vivre conformément à l’honneur et à l’idéal qu’on se fait. »
Berty Albrecht

 

La mémoire des femmes dans la résistance

La mémoire des femmes de la Résistance juive a dû se frayer un chemin en surmontant deux obstacles : celui concernant la place des femmes dans la Résistance et celui concernant la place de la Résistance spécifiquement juive dans ce même ensemble, et qui longtemps ont été minorées, voire ignorées. Avec les avancées de l’émancipation des femmes dans le monde occidental depuis la Seconde Guerre mondiale, l’historiographie a accordé une place grandissante au rôle joué par les résistantes.

Selon un rythme progressif, les femmes qui furent au premier plan des révoltes armées ou des réseaux de sauvetage ont été l’objet de biographies approfondies, souvent élaborées par des historiennes, ou par des militantes associatives. Celles qui étaient encore vivantes, dont la parole était désormais écoutée, se sont ont été décorées tardivement.

«Quant au fait d’être femme, déclare-t-elle, je l’ai provisoirement oublié dès que m’ont été confiées des responsabilités de commandement… Les choses ne sont devenues plus complexes et plus gênantes que plus tard, après la guerre. Lorsqu’insidieusement d’abord, plus clairement ensuite, on a entrepris de purger la vie politique française de ses résistants, en particulier de ses résistants juifs. Lorsque la condition de femme a commencé à faire problème pour la reconnaissance des services rendus, pour la légitimation des grades, des décorations, etc. Il est vrai qu’être à la fois juive et femme n’a pas facilité l’entrée dans les manuels d’histoire, officiels ou non.»

Catherine Varlin